Lettre ouverte :
Date : 25 mai 2023
Évaluation
de l’expérimentation
du dispositif d’occupation temporaire des bâtiments vacants
(Loi ELAN : art.29)
Mesdames, Messieurs les député·e·s,
Mesdames, Messieurs les sénateurs·rices
À la veille de l’adoption par le Sénat de la loi visant à protéger les logements contre l’occupation illicite, dite « loi anti-squat », les acteurs du logement d’insertion, de l’habitat intercalaire, les opérateurs, les propriétaires et leurs soutiens, s’inquiètent des dispositions de l’article 2 ter qui prévoit la pérennisation du dispositif visant à assurer la protection et la préservation de locaux vacants par l’occupation de résidents temporaires (loi n° 2018-1021 : 23.12.18 : art.29)
Pour mémoire, l’article 29 de la loi ELAN précise que l’expérimentation de ce dispositif est prévue « notamment à des fins de logement, d’hébergement, d’insertion et d’accompagnement social » et que l’obtention de l’agrément est conditionnée à l’engagement d’un organisme ou d’une association vis-à-vis des personnes vulnérables. Le dispositif d’occupation temporaire des locaux a, en ce sens, un intérêt s’il permet d’augmenter le vivier de solutions de logement/d’hébergement pour les personnes précaires par la mobilisation des logements vacants couplé à un accompagnement social.
Les acteurs du logement d’insertion et de l’habitat intercalaire constatent cependant que dans, les faits, ce dispositif est majoritairement mobilisé par des sociétés de gardiennage afin de proposer aux propriétaires une solution de “gardiennage par l’occupation” de leur bien vacant. Cette utilisation diffère indéniablement de l’objectif initial.
Par ailleurs, au regard de cette approche mercantile dominante aujourd’hui en France et dénuée de projet social, il apparaît que des sociétés de gardiennage ont obtenu leur agrément avec des engagements extrêmement faibles ou sans transparence sur leurs engagements vis-à-vis des personnes vulnérables. Les acteurs du logement d’insertion et de l’habitat intercalaire s’inquiètent donc d’une ineffectivité du contrôle lors de la délivrance de l’agrément par l’Etat.
Outre ces pratiques qui dérogent aux objectifs initiaux de l’expérimentation, fixés par l’article 29 de la loi ELAN, les organismes signataires constatent que de nombreux logements proposés par les sociétés de gardiennage dérogent aux normes de l’habitat, de décence et au besoin d’intimité et de tranquillité des habitants. Les alternatives solidaires existent mais le cadre actuel donne l’avantage aux sociétés de gardiennage et à une version “low cost” du logement par l’occupation temporaire de bâtiments vacants. La mobilisation du dispositif ne permet pas de garantir des conditions de vie dignes aux personnes logées.
La loi prévoyait que ce dispositif expérimental soit suivi et évalué par les services de l’Etat chargés d’agréer les opérations et qu’un rapport d’évaluation du dispositif soit remis par le Gouvernement au Parlement, au plus tard six mois avant le terme de l’expérimentation. Cependant, aucun rapport d’évaluation n’a été remis au Parlement. Le législateur ne dispose aujourd’hui d’aucune donnée fiable sur ce dispositif.
En l’état, pérenniser le dispositif engendrerait le développement d’un statut d’occupation dérogatoire et précaire sans avoir la garantie de son utilité sociale. Sa mobilisation actuelle positionne les acteurs de l’économie sociale et solidaire et les entreprises privées lucratives de gardiennage sur un même niveau. Elle conduit à privilégier une approche opportuniste et réductrice de la mobilisation des bâtiments vacants, du mal-logement et du sans-abrisme au détriment d’une approche solidaire et respectueuse des droits fondamentaux des personnes logées.
Ainsi, et afin que l’objectif originel du dispositif soit rétabli, il est nécessaire d’avoir recours à une évaluation afin d’identifier les dérives et d’en réaffirmer le cadre législatif avant que ce dernier ne soit pérennisé par la loi de protection contre l’occupation illicite des logements. En ce sens, les acteurs du logement d’insertion et les acteurs opérationnels demandent :
- une évaluation de l’article 29 de la loi Élan, comme prévu par la loi, pour faire ressortir les bonnes pratiques et réguler ce dispositif
- l’exclusion du dispositif des opérateurs qui ne respectent pas les critères de décence et de sécurité
- la continuation du dispositif expérimental jusqu’à fin 2024, le temps de l’évaluer.
Nous vous remercions pour l’attention que vous porterez à notre alerte et vous prions d’agréer l’expression de notre considération la plus distinguée,
Pascal Brice
Président de la FAS
Christophe Robert
Délégué Général de la Fondation Abbé Pierre
Thierry Debrand
Président de la FAPIL
Bertrand Declemy
Président de l’UNAFO
Claude Garcera
Président de l’UNHAJ
Pascal Van Laethem
Président de l’AFFIL
Bernard Devert
Président d’Habitat & Humanisme, opérateur agrémenté de l’article 29 de la loi Elan
Simon Guibert
Directeur de CARACOL, opérateur agrémenté de l’article 29 Elan
Simon Laisney
Directeur de la SCIC Plateau Urbain, opérateur agrémenté de l’article 29 Elan
Jacques Donzé
Président de l’Armée du Salut, opérateur agrémenté de l’article 29 Elan
Sami Cheikh Moussa
Directeur de l’association Réfugiés Bienvenue
Françoise Lareur
Présidente de la Fondation Macif
Thomas Couderette,
Co-fondateur Agence intercalaire
Aude Messéan
Présidente de l’association Cohabilis
Anderson PINHO & Laurent PERL
Co-présidents LACLEF